"Je me suis levé à huit heures
comme d'habitude", phrase, bout de phrase qui, sous ses
airs de rien, en dit long. Proust commence ainsi sa Recherche:
"Longtemps je me suis couché de bonne heure."
Marcel se couche, il s'est couché souvent, mais ne le
dit qu'une fois. Le narrateur de Quelqu'un ouvre
la sienne, de recherche, par un lever, mais un lever répété
qui scande tout le livre. Le narrateur passe son temps à
se lever; passerait-il donc son temps couché? La reprise
n'est pourtant strictement que dans ce lever obsédant
à huit heures: on le voit. On le voit d'autant mieux que
le recommencement annoncé donne lieu à tout, sauf
à une récapitulation. Il est, pour le narrateur,
avant tout question de se calmer, de se reprendre. "Tranquillement",
"paisiblement", deux adverbes qui n'abusent personne:
la reprise n'est en rien sécurisante. Au contraire, elle
exacerbe cette folie de la récapitulation, de la mise
au point. A chaque fois, elle génère des précisions
encore inconnues du lecteur, en fait passer d'autres à
la trappe: le narrateur a perdu son papier et le cherche, il
est réveillé par Marie, il décrit sa robe
de chambre ou se demande en quelle compagnie il a bien pu boire
son thé... En résumé, il ne reprend rien,
il se déprend, perd toute prise, peu à peu, avec
la réalité censée le préoccuper,
à savoir ce bout de papier qu'il dit chercher et qu'il
ne cherche pas. La répétition n'est pas répétition.
Sous couvert de rengaine, de monotonie, de litanie du quotidien,
elle ouvre la voie à la variation, la différence.
Fausses réitérations, pas de reprise, aucune sécurité,
faux repères: rien que du dissemblable.